Jeudi c’était en France et partout j’imagine l’Ascension ; dimanche ce sera ici la Sensa (l’Ascension), mais aussi la fête du mariage symbolique de Venise avec la mer.
C’était déjà cela aujourd’hui aussi, l’impression créée par la régate de la Copa America, départ au Lido, arrivée dans le bassin de San Marco. La riva (les quais le long de Saint-Marc, jusqu’au Giardini) était noire de monde ; nous étions en face, à côté de l’enfant à la grenouille. Point n’est besoin, je pense, de préciser que la vue depuis la douane est éblouissante : le campanile, le palais de doges et la riva sur la gauche, San Giorgio et sa façade du Palladio légèrement sur la gauche. Le bassin de San Marco avait été vidé de ses vaporettos, gondoles, topos (c’est à dire les bateaux des transporteurs), seuls quelques zodiacs liés à l’organisation de la coupe pouvaient encore s’y déplacer. Hommes en parka noire, avec toujours une ou deux gravures de modes à l’air blasé, qui dans l’ensemble me faisaient mourir d’envie… Il y avait cette atmosphère pré-fête. On ne savait pas quand les bateaux allaient arriver. 7 noeuds de vent ; c’est ce qu’évaluait mon voisin en blaser bleu marine, entre deux évocations, nécessaires absolument, des régates de dragons que lui-même faisait dans les années 80, tandis que sa femme glosait, assise, le long de la fondamenta sur la coupe Louis Vuitton.
Un gros moustique, gris, est arrivé au dessus du plan d’eau. Deux gros moustiques, qui n’étaient semble-t-il pas de l’Agusta (mais comment donc !!?). Puis les merveilleux joujoux colorés qui filent à vive allure avec tout juste un souffle d’air sont arrivés, tirant quelques très courts bords de largue, avant de passer la bouée devant la riva, remonter au près derrière San Giorgio, pour revenir enfin et franchir la ligne. Luna Rossa en tête, une voile Prada faisait écho à la pub Prada qui couvre une partie de la Marciana. Ces bateaux légers, si légers sur l’eau. Un délire de carbone, kevlar et titane, leurs longues voiles aux allures d’aile d’avion, paraissant plus hautes que la ville. Des catamarans qui se meuvent avec une facilité et une précision déconcertantes sur ce plan d’eau si étroit.
C’était léger, gracile, élégant, joyeux, festif. Venise semblait renouer avec la mer. Certains Vénitiens vous diront qu’elle ne l’a jamais abandonné, et que seul un détenteur de bateau est vénitien, que Venise, c’est la mer, que Venise, c’est connaître, les courants, les vents, la lagune, le travail de la mer. Aujourd’hui, avec les petites merveilles technologiques volant sur sur les eaux devant les symboles du pouvoir de la République maritime, Venise redevenait la reine des mers.
La régate, dans le bassin de Saint-Marc, l’adresse des skippers, la joie suscitée redonnaient tout son sens à la cité lagunaire.